(Marseille) Pile à l’heure, Derek Cornelius était le premier arrivé. Le défenseur canadien, engagé avec l’Olympique de Marseille depuis l’été dernier, avait rendez-vous avec La Presse, dans ce qui était aussi une sorte d’après-midi de tournages promotionnels dans le bâtiment de presse de l’OM.
Publié à 5 h 00
Sont arrivés ensuite Pierre-Emile Højbjerg (ex-Tottenham), l’actuel meilleur buteur de Ligue 1 Mason Greenwood (ex-Red Devil), Neal Maupay et Jonathan Rowe.
Des rencontres fortuites et sympathiques, certes. Mais ce n’était pas à eux qu’on avait affaire en ce jeudi à la météo très agréable à Marseille. En comparaison avec le vortex polaire qu’on a joyeusement quitté en s’envolant de Montréal, ce 15 degrés ensoleillé donnait la sensation d’un chaud soleil de juillet sur l’épiderme.
« La vie est belle ici, nous confirme l’Ontarien en souriant. L’hiver est pas mal mieux que celui du Canada. »
Pourquoi avons-nous traversé l’Atlantique jusqu’au sud de la France pour venir discuter avec l’international canadien ? En vérité, ce qui nous amène à Marseille cette semaine, puis à Nice dans les prochains jours, c’est un derby qui aura lieu dimanche entre l’OM et l’OGC Nice, où évoluent les deux Québécois Ismaël Koné et Moïse Bombito, respectivement.
Nous y reviendrons dans de prochains reportages. Parce que pour l’heure, Derek Cornelius est assis devant nous, à répondre patiemment et gentiment à nos questions, et on a bien envie d’en apprendre plus sur ce joueur qui a éclos sur la scène internationale et en France dans les derniers mois.
Les membres de l’équipe des communications de l’OM remarquaient justement entre eux que Cornelius était toujours l’un des plus ponctuels du groupe.
PHOTO MIGUEL MEDINA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Neal Maupay, Amir Murillo, Derek Cornelius et Adrien Rabiot réunis après un but de l’Olympique contre Le Havre AC, début janvier
Et on se rend vite compte que ce sérieux s’observe dans le reste de sa personnalité. Son discours est calme, franc. Il nous paraît même un peu trop modeste pour ce qu’il accomplit aujourd’hui, à 27 ans. Cornelius est titulaire aux remparts de Marseille, l’un des plus grands clubs d’Europe, après des années à traîner son baluchon en Allemagne, en Serbie, à Vancouver, en Grèce et en Suède avant d’aboutir chez les Phocéens.
« C’était bon pour moi, dit-il. La découverte de toutes ces cultures et de tous ces environnements a été un défi. J’ai dû m’ajuster partout où j’allais. Mais j’essaie toujours de garder l’esprit ouvert et de m’améliorer, peu importe où je suis. Ça m’a permis d’accepter ces différentes cultures, ces différents styles de jeu, entraîneurs, coéquipiers, tout. »
Jesse Marsch, que nous joignons au téléphone jeudi, vient de faire le chemin inverse de celui que nous avons fait. Le sélectionneur du Canada réside en Italie, mais il entame ces jours-ci un périple pour rencontrer les communautés de foot d’un océan à l’autre. Les premiers mots qu’il prononce lorsqu’on l’interroge sur Cornelius ?
PHOTO PATRICK POST, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE
Le sélectionneur du Canada, Jesse Marsch
« Il est mature, répond-il sans hésiter. Il a été à différents endroits en Europe. Il est constant dans sa façon de gérer les hauts et les bas. C’est un vrai professionnel en ce qui a trait à son éthique de vie et de travail. Il prend son job très au sérieux. »
Après six mois en France, le Canadien se débrouille même pas mal en français, déjà. Notamment grâce aux cours qu’offre l’OM à tous ses joueurs qui en ont besoin.
« Mon français n’est pas prêt pour une entrevue, dit-il très convenablement dans la langue de Thierry Henry. Je dois continuer [à l’apprendre]. »
Changements de culture… et de position
Derek Cornelius est né en 1997 à Ajax, en Ontario, d’une mère jamaïcaine et d’un père « bajan », terme utilisé localement par les Barbadiens pour se désigner eux-mêmes.
« J’ai eu une enfance très normale, avec mes deux parents et ma sœur. Mon père aimait beaucoup le sport, et lorsque la Coupe du monde de 2002 jouait à la télé, j’ai eu le coup de foudre pour le foot. Je regardais Ronaldinho Gaúcho jouer avec un sourire au visage, et j’ai su dès ce moment que c’était ce que je voulais faire de ma vie. »
Cornelius quitte le nid familial à 15 ans pour rejoindre les jeunes du club de Lübeck, dans le nord de l’Allemagne. « Je me débrouillais pas mal en allemand à la fin ! », lance-t-il.
Il quitte l’Allemagne en 2017 et se trouve un club du sud de la Serbie, le Javor-Matis, aujourd’hui en deuxième division. Il y reste deux ans et demi, et décrit cette expérience comme la « plus difficile » du lot.
« C’était un tout petit village, et personne ne parlait anglais. Ce qui fait qu’on peut souvent se sentir seul. Mais j’y reviens : quand on vit de telles situations, ça rend plus fort. Alors avec le recul, je suis content de les avoir vécues. »
C’est aussi là qu’il passe de numéro 9 à défenseur central. Il a 19 ans.
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Derek Cornelius
Il fallait que j’apprenne les rudiments de cette position. J’avais l’impression d’être en retard sur ceux qui avaient été défenseurs toute leur vie. Mais ça a été bon pour moi. J’ai dû la maîtriser en peu de temps.
Derek Cornelius
C’est en tant que défenseur central qu’il excelle aujourd’hui. Et c’est de cette façon qu’il a fait ses débuts en sélection canadienne. Jusqu’à devenir un titulaire indiscutable de Jesse Marsch au côté de Moïse Bombito, justement.
Il découvre la MLS avec les Whitecaps de Vancouver, de 2019 à 2021, puis retrouve l’Europe en partant en prêt avec Panetolikós, en Grèce. Il passe ensuite un an en Suède, avec Malmö. Jusqu’à ce que Marseille l’acquière, l’été dernier, dans le même mercato qui a vu Koné rejoindre l’OM lui aussi, et Bombito signer avec Nice. Ils sont maintenant cinq Canadiens dans des clubs de D1 française, du jamais vu, et de loin.
Un peu grâce à… Jonathan David
Ah, oui. Entre-temps, Cornelius participe à une Coupe du monde, en 2022. Mais c’est à l’arrivée de Jesse Marsch que sa place en équipe nationale a été confirmée. Laissez le sélectionneur nous raconter l’anecdote.
« J’étais allé rencontrer Johnny [Jonathan David], relate Marsch. Je lui ai dit que j’étais en train de regarder les défenseurs centraux, et je lui ai demandé qui il voyait, parmi les prêts, devenir des joueurs plus permanents dans l’équipe. Il m’a répondu : Moïse et Derek. »
PHOTO CHRISTOPHE SIMON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Les Canadiens Derek Cornelius, de l’Olympique de Marseille, et Jonathan David, de Lille
Ça tombait bien, c’était les deux gars que Marsch avait en tête. « Et ensuite, j’ai appris que Jonathan et Derek étaient meilleurs amis [rires]. Mais il respecte vraiment Derek pour le professionnel qu’il est. »
Cornelius veut attribuer du mérite à son sélectionneur à cet égard. « Il a investi beaucoup de temps en nous, dans des séances vidéo, pour ajuster notre style de jeu sur nos forces et nos faiblesses et dans son système. Ultimement, il a cru en nous. On peut encore atteindre un autre niveau. »
Faire vibrer le Vélodrome
À Marseille et au mythique Vélodrome, Derek Cornelius vit quelque chose de « spécial ».
« Le stade est gigantesque, et il est plein à presque tous les matchs. Au début de la saison, on a eu de la difficulté à la maison et on avait de bons résultats à l’étranger. »
Après 18 matchs, l’OM pointe au deuxième rang, à 37 points, soit 9 de moins qu’un Paris Saint-Germain toujours invaincu.
« Mais maintenant l’équipe joue bien à domicile, on gagne, et l’atmosphère est électrique. Quand tu vois à quel point ça peut être spécial, ça te pousse encore plus à aller chercher ces victoires pour avoir ce sentiment à nouveau. »