
Le sportif de salon qui se respecte a certainement ressenti une impression de déjà-vu en écoutant le duel Canadien-Avalanche samedi soir. La voix de l’annonceur maison du Ball Arena aura en effet un son familier.
Publié à 5 h 00
Les amateurs occasionnels de football, qui s’en tiennent au Super Bowl, auront déjà entendu cette voix. Les courageux partisans des Vikings du Minnesota, qui attendent encore leur premier championnat, la reconnaîtront assurément. Les adeptes de la série de jeux Madden et FIFA, d’EA Sports, auront une rage soudaine de ressortir leur console.
Ce sentiment de familiarité, on le ressent dès que notre homme décroche le téléphone pour répondre à l’appel de La Presse. Son simple « Hello », d’une voix si grave qu’elle chatouille le tympan, nous le confirme : nous avons composé le bon numéro.
C’est la voix d’Alan Roach, qu’il projette du haut de ses 6 pi 8 po. Si Michel Lacroix, par son travail au Centre Bell et aux Jeux olympiques, est la voix la plus connue dans les amphithéâtres sportifs de chez nous, Roach est son équivalent américain, voire mondial, vu la portée des évènements sur lesquels il travaille.
La liste de ses mandats donne le tournis. Seize Super Bowl, six Jeux olympiques, une Coupe du monde de soccer, le Temple de la renommée du football, les Petites Séries mondiales de baseball et, pourquoi pas, le train de l’aéroport de Denver. À ces évènements ponctuels s’ajoutent ses emplois permanents chez les Vikings (NFL), les Rapids du Colorado (MLS) et la susmentionnée Avalanche.
Écoutez quelques extraits d’Alan Roach au travail
Par sa voix, Roach est carrément devenu une célébrité.
« En général, être annonceur maison pour un match, c’est 100 $, un lunch et le stationnement. C’est assez dur d’en vivre, explique Roach, en entrevue téléphonique. Donc jusqu’à 2015, j’occupais un emploi à temps plein à la radio locale. Quand je travaillais au Super Bowl, je devais prendre congé de cet emploi !
« En 2015, après 26 ans de service, la station a déterminé que je coûtais trop cher et m’a congédié. J’ai dit à ma femme : c’est correct, je travaillerai au Home Depot à temps plein et je demeurerai l’annonceur du Super Bowl. Mais j’ai plutôt travaillé pour grappiller des contrats à gauche à droite. Au bout du compte, le congédiement est la meilleure chose qui me soit arrivée. Annoncer des courses de vélo, c’est pas mal plus plaisant que se lever à 4 h pour lire des résultats sportifs à la radio ! »
Débuts précoces
Roach, de son vrai nom Kelly Burnham, aspirait à devenir agent secret pour le FBI. Mais les contacts avec ce milieu étaient rares, tandis que dans les médias, une porte s’est vite ouverte.
Dans un cours au secondaire, sa classe devait enregistrer, à KLIZ, la station de sa ville natale de Brainerd, au Minnesota, un discours de John F. Kennedy. « On était 25 élèves, chacun devait lire environ 20 secondes du discours. J’ai enregistré ma partie, le directeur de la station l’a écoutée et m’a demandé : “Veux-tu une job ?” Je devais avoir 16 ans ! »
De fil en aiguille, il s’est mis à accumuler les contrats qui lui ont fait toucher à tous les sports. Au-delà des publicités et messages d’intérêt public, chaque sport vient avec ses particularités. Au baseball, son travail consiste essentiellement à annoncer les frappeurs un après l’autre. Au hockey et au soccer, les buts et les infractions.
« Mais au football, c’est pratiquement de la description. À chaque jeu, tu dois dire qui a transporté le ballon, sur quelle distance, les essais, les plaqués. »
PHOTO TIRÉE DU SITE DES VIKINGS DU MINNESOTA
Alan Roach
Qu’importe le sport, cependant, son but premier demeure le même : bien prononcer les noms. « La plus grande erreur qu’un annonceur puisse faire est de deviner la prononciation, martèle-t-il. Tu dois réussir à 100 %, car c’est la principale raison pour laquelle on est là. »
Le hockey est particulier, avec des Suédois, des Tchèques, des Finlandais, des Russes, mais aussi des Québécois, pour tester la bonne diction de l’annonceur. En cas de doute sur un nom, il demande au relationniste d’enregistrer le joueur en question prononçant son nom.
« Les joueurs de hockey, en particulier, ont des noms qui s’américanisent. Mais quand on arrive dans les tournois internationaux, ils aiment que la prononciation soit comme dans leur langue », fait-il valoir.
Il donne Peter Forsberg en exemple. « En suédois, ça se prononce “Forsbéré”. Donc aux Jeux de Turin, je disais “Forsbéré”. »
Les nombreux joueurs francophones lui posent un autre type de défi. « Mes deux meilleurs amis annonceurs sont Michel Lacroix et Sébastien Goulet. Je blague toujours avec eux, je leur dis que je coupe simplement la dernière lettre du nom, comme Jonathan Drouin. Et “Goulé”, pas Goulette. Sébastien a été d’une aide précieuse. Quand je ne peux pas prendre un contrat, c’est toujours lui que je réfère. »
PHOTO FOURNIE PAR SÉBASTIEN GOULET
Sébastien Goulet et Alan Roach aux Jeux olympiques de Turin en 2006
De Lacroix, Roach a appris « le professionnalisme », dit-il. Il a connu l’annonceur maison du Canadien aux Jeux olympiques de Salt Lake City, en 2002. « J’ai plus appris pendant mes deux semaines et demie avec lui que pendant toute autre période de deux semaines. Il m’a appris comment je veux sonner, comment je ne veux pas sonner. Quatre ans plus tard, on a encore travaillé ensemble à Turin. Je l’aime beaucoup. Les gens l’apprécient non pas parce qu’il est une vedette ou qu’il a une grosse voix, mais pour la personne qu’il est. »
Roach en a vécu, des évènements. Son préféré ?
« C’est ce qui est incroyable de mon travail. On me pose toujours cette question et c’est impossible d’y répondre parce que la liste est tellement longue. Mais un des premiers évènements qui me vient en tête, c’est en 2001, quand Joe Sakic donne la Coupe Stanley à Raymond Bourque. De ma position, entre les bancs des pénalités, j’étais à 30 pieds d’eux. »
Patrick Roy, loin des caméras
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE
Patrick Roy avec l’Avalanche du Colorado en 2001
Puisqu’il était question de cette génération de l’Avalanche, il fallait bien demander à Alan Roach s’il avait une anecdote au sujet de Patrick Roy dans son répertoire. Il ne nous a pas déçus, bien que « ça n’ait rien à voir avec [s]on emploi », prévient-il. L’histoire, donc, se déroule quelque part au début des années 2000. Daylon, le fils de sa conjointe de l’époque, était gardien de but pour Arvada, une banlieue de Denver. « Et on affrontait Littleton, où tous les fils des joueurs de l’Avalanche jouaient, poursuit Roach. Patrick assistait au match, son fils jouait pour Littleton. Ils étaient largement supérieurs à toute autre équipe. On a perdu 11-0, Daylon a donné les 11 buts et je ne pense pas qu’on ait traversé la ligne rouge une seule fois ! Je devais partir tout de suite après le match, donc c’est ma conjointe qui restait pour attendre son fils. Patrick est allé la voir et lui a demandé : “Votre fils, c’est le gardien ? Ça vous va si je viens lui parler ?” Et Patrick est allé le voir pendant trois minutes. Il lui a dit : “Le hockey est un sport d’équipe, ce n’était pas 11-0 à cause de toi. Garde la tête haute, continue à t’amuser et ne te laisse pas décourager.” Patrick n’avait aucune, aucune idée que c’était mon beau-fils. »


