Davis Alexander a pris connaissance des modalités du contrat qui le liait aux Alouettes de Montréal pour les trois prochaines années, alors qu’il regardait le duel du lundi soir entre les Ravens de Baltimore et les Chargers de Los Angeles. Il a immédiatement envoyé des messages textes aux membres de sa famille, parce qu’il était « incapable de parler sur le coup ».
Publié hier à 16 h 55
Léger retour dans le temps. En février 2022, Davis Alexander venait de graduer de la modeste université de Portland State. Il se préparait pour la tenue de son jour d’essai (pro day), pour convaincre les recruteurs des différentes organisations professionnelles de lui offrir une chance.
« Je restais à Seattle chez mon oncle. Il m’a laissé utiliser sa voiture, il payait mes repas. La seule chose que je devais faire, c’était de payer l’essence », s’est rappelé Alexander, jeudi, dans le vestiaire des Alouettes de Montréal.
Pour offrir le carburant nécessaire à la voiture de son oncle, Alexander travaillait comme livreur de soir pour les entreprises Uber Eats et DoorDash, au terme de ses journées d’entraînement. De décembre à février, il harcelait son agent de l’époque pour pouvoir s’entendre avec une équipe de la Ligue canadienne de football.
« Et quand j’ai reçu son appel et que le contrat avec les Alouettes était dans mes courriels, je me souviens d’avoir versé des larmes. Et la première personne que j’ai appelée, dit-il en retenant ses larmes, c’était mon père. C’était un moment spécial. »
Aujourd’hui, Matt Alexander n’est plus. Mort d’un cancer du poumon au mois d’août, papa Alexander n’a pas pu être aux côtés de son fils lorsque celui-ci a mis sa griffe au bas d’un contrat d’une valeur totale d’environ 1,2 million de dollars.
Le quart de 26 ans s’est mis à pleurer pendant plus de cinq minutes en tentant de répondre à la question d’un collègue à propos de la fierté qu’aurait sans doute éprouvée son père en cette journée spéciale. Entre chaque phrase, presque entre chaque mot, Alexander penchait la tête pour essayer de contenir ses larmes et ravaler sa tristesse. À sa droite, le directeur général Danny Maciocia tentait de le consoler avec quelques tapes dans le dos.
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Danny Maciocia et Davis Alexander en conférence de presse jeudi.
« Lundi soir, j’ai reçu un message texte de mon agent me disant que je devais prendre l’avion mercredi pour la conférence de presse jeudi. Et j’ai ressenti les mêmes émotions. J’ai encore pleuré. J’étais tellement fier. Évidemment, c’était un peu différent cette fois… Il n’est pas avec moi physiquement, mais je sais qu’il sera avec moi pour toujours. »
Long processus
Comme un orage en janvier, l’incertitude entourant le poste de quart-arrière de l’équipe a surpris à peu près tout le monde lors du bilan de fin de saison.
Le 11 novembre, c’est Cody Fajardo lui-même qui avait mis le feu aux poudres, sachant que son réserviste devenait joueur autonome, affirmant que « parfois, avoir deux quarts incroyablement talentueux n’est pas une bonne chose parce que ça divise les gens. »
Dix-sept jours plus tard, Maciocia a tranché, en identifiant Alexander comme le quart-arrière partant de l’équipe en vue de la saison 2025. « C’est une journée importante. Il y avait un consensus que c’était le temps que Davis soit notre partant pour les prochaines années », a-t-il déclaré.
Dans l’ombre, alors que les Alouettes avaient déjà consolidé leur place au sommet de la division est et se préparaient pour les éliminatoires, l’organisation envisageait déjà l’éventualité de remplacer Fajardo par Alexander. « Ça fait un mois, un mois et demi que je travaille là-dessus et ça me travaille entre les deux oreilles. Ce n’était pas une décision facile à prendre, mais c’était la bonne décision pour l’organisation. »
Seule une éventuelle victoire à la Coupe Grey aurait pu brouiller les cartes, a confirmé Maciocia. « Je me suis mis dans une situation plutôt difficile pendant tout ce processus. Je me suis dit : si jamais on gagne contre Toronto, on s’en va à Vancouver, on joue contre Winnipeg, on gagne la Coupe Grey et Cody est le joueur le plus utile, tu fais quoi ? Ça aurait été le scénario le plus difficile. »
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Davis Alexander sera le quart partant des Alouettes en 2025.
Cependant, Maciocia maintient sa position. Alexander procure à son organisation un luxe dont peu d’équipes peuvent profiter : le temps.
C’est un jeune qui a probablement 8 à 10 ans devant lui. Comparé à un scénario où c’est un an à la fois avec Cody.
Danny Maciocia
De son côté, même si Alexander souhaitait revenir avec l’équipe, il voulait surtout un poste de partant, peu importe l’équipe. « Je ne suis pas gêné de le dire. Si les Alouettes avaient voulu aller dans une autre direction, je n’aurais pas eu de rancune et j’aurais, moi aussi, pris une autre voie. »
Mais son souhait a été exaucé. Peut-être un peu grâce à la part des anges.
L’après-Cody Fajardo
Même si Danny Maciocia s’est entendu avec d’autres joueurs depuis l’élimination de l’équipe, son dossier prioritaire demeurait la situation des quarts-arrière.
Cody Fajardo aura 33 ans au mois de mars. Il a disputé 32 rencontres de saison régulière avec les Alouettes de Montréal. Il a complété 72,4 % de ses passes en plus de lancer 30 passes de touché et 19 interceptions lors des deux dernières années. Il a aussi permis aux Alouettes de remporter une Coupe Grey en novembre 2023.
Cependant, au mois de juillet, Fajardo s’est absenté pendant six semaines en raison d’une blessure à la jambe. Durant cette période, Alexander a assuré la relève en remportant ses quatre matchs comme partant. Il a terminé la saison avec un taux d’efficacité de 69,5 %, six passes de touché et deux interceptions.
Alexander a forcé l’organisation à se remettre en question. D’abord, parce qu’il a montré qu’il avait l’étoffe d’un partant. Ensuite, parce qu’il a aussi prouvé que Fajardo n’était pas nécessaire au succès de l’équipe.
« Je n’ai jamais douté de moi-même. Je n’ai jamais douté de mon avenir ici », a raconté Alexander, jeudi, en conférence de presse.
Froidement, malgré l’amour que Jason Maas et Maciocia portent à l’égard de Fajardo, aller de l’avant avec Alexander s’imposait comme la meilleure décision pour « le présent et l’avenir » de l’équipe, comme l’a précisé le directeur général.
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Le directeur général des Alouettes, Danny Maciocia
« Lorsqu’on s’est assis, on a regardé les deux dossiers. On les a évalués comme il faut. Cody nous donnait un horizon d’un an seulement. Et Davis était six ans plus jeune, moins magané et prêt à rester ici trois ans. On l’a vu grandir à l’intérieur de cette organisation et il a produit quand l’occasion s’est présentée. La décision devient un peu plus facile. »
Maciocia vante depuis deux semaines la compétitivité de Alexander. Cette qualité s’inscrit comme le facteur dominant de sa présence dans la pochette, comme dans le vestiaire. « On le voit même au pickleball et au ping-pong », note le directeur général.
« Ça va nous aider à long terme, mais si j’étais coach de cette organisation, je serais très confiant de gagner immédiatement avec Davis comme quart partant », a-t-il ajouté.
La suite de Fajardo
En principe, il reste encore une année au contrat de Fajardo. Et en date de jeudi, même Maciocia n’avait pas la moindre idée de ce qui attendait celui qui a été son quart-arrière partant lors des deux dernières saisons.
Impossible pour l’organisation de garder deux quarts-arrières commandant des salaires de partants.
Selon Maciocia, il existe quatre options pour Fajardo : demander une transaction là où il pourrait redevenir partant, rester dans le nid pour épauler Alexander en restructurant son contrat, demander à être libéré ou encore prendre sa retraite.
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Le sort de Cody Fajardo devrait être éclairci dans les prochaines semaines.
Pour lui annoncer la nouvelle direction prise par l’équipe, Maciocia a lâché un coup de fil à Fajardo mardi soir.
On a parlé juste moi et lui. Il comprend la décision et il comprend comment on s’est rendus à cette décision.
Danny Maciocia
Parce qu’il se sent redevable, le directeur général a juré à Fajardo qu’il allait tout faire pour l’accommoder le mieux possible.
« J’ai énormément de respect pour Cody. Énormément ! Il s’est fait dire qu’il n’était pas assez bon pour être un partant dans la LCF. On l’a amené ici et on a vu ce qu’il a fait. Il a gagné une Coupe Grey pendant laquelle il a été le joueur le plus utile. Je serai toujours reconnaissant envers lui et c’est pourquoi je veux tout faire pour l’aider. »
Le dossier devrait se régler au cours des prochaines semaines.
De son côté, Alexander a échangé quelques messages textes avec Fajardo. Sans plus. Les deux se sont souhaité bonne chance pour la suite.
Depuis son domicile à Kelowna, sur la côte ouest, Alexander a visionné le documentaire The Dynasty, sur la plateforme Apple TV+. Une série revenant sur les années de gloire des Patriots de la Nouvelle-Angleterre, mettant en vedette Drew Bledsoe, Tom Brady et Bill Belichick.
Un drôle de hasard, s’il en est un, parce que Alexander peut mieux que quiconque comprendre quelles répercussions la blessure d’un quart-arrière partant peut avoir sur la carrière d’un quart réserviste.