Un foglio bicanco. Ou en français : une feuille blanche.
Publié à 5 h 00
Ce sont là quelques-uns des premiers mots qu’a appris Stéphanie Poirier en italien. Et ils pourraient difficilement mieux résumer le défi qu’elle a accepté de relever il y a un an et demi.
Poirier fait partie du contingent de Québécoises et de Québécois qui a pris les rênes de la sélection italienne de hockey féminin. Ils sont cinq, au total, à encadrer la destinée de l’équipe nationale en vue des prochains Jeux olympiques, qui auront lieu à Milan et à Cortina d’Ampezzo en février 2026. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont effectivement partis d’une foglio bianco.
Cette surprenante aventure s’est amorcée en 2023 lorsque la Fédération italienne de sports sur glace a pris contact avec Danièle Sauvageau. Véritable éminence grise du hockey féminin au Canada, l’actuelle directrice générale de la Victoire de Montréal possède des antennes en Europe, notamment après avoir travaillé, il y a quelques années, avec la fédération française.
Puisque l’équipe hôtesse est qualifiée d’office, on souhaitait faire bonne figure. Aux Jeux de Turin, en 2006, les Italiennes avaient conclu la ronde préliminaire avec un seul but marqué et 32 accordés en trois rencontres. Personne ne désirait revivre cette douloureuse expérience.
PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE
Danièle Sauvageau
Sauvageau a donc reçu le mandat de mettre en place une structure pour préparer l’équipe. En premier lieu, elle a proposé le poste d’entraîneuse-cheffe à Stéphanie Poirier, sa complice au Centre 21.02, lieu de haute performance consacré au hockey féminin, et entraîneuse adjointe chez les Carabins de l’Université de Montréal.
Poirier a d’abord cru à une blague. « Ben oui, Dan ! », lui a-t-elle répondu sarcastiquement. Ce n’était pas une blague. Elle a donc accepté, pour vrai, cette fois.
En vue d’un premier camp d’évaluation en Italie, pendant l’été 2023, Stéphanie Poirier s’est adjoint les services de Kayla Tutino, entraîneuse associée à l’Université McGill. En plus de son CV enviable, la Montréalaise avait l’avantage de parler couramment la langue du pays dont est originaire sa famille.
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À leur arrivée, un choc culturel les attendait sur la glace.
« Les joueuses nous ont demandé pourquoi on mettait autant l’accent sur les habiletés », se rappelle Stéphanie Poirier. Invoquant leur statut de membres de l’équipe nationale, elles s’attendaient à ce que tout le travail se concentre sur le système de jeu. Le premier chantier serait manifestement d’ordre pédagogique.
« Les filles de l’équipe canadienne ne demandent que ça, des exercices d’habiletés ! s’exclame Poirier au bout du fil. Marie-Philip Poulin arrive avant ses coéquipières et part après elles pour en faire davantage. Et là, on me demandait de pratiquer l’avantage numérique… Pour être bonnes collectivement, il faut être bonnes techniquement et individuellement. »
Bonne nouvelle, toutefois : son message a très bien passé. Rapidement, aussi. « Après deux ou trois entraînements, on a vu un pétillement dans leurs yeux. »
PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE
Stéphanie Poirier
Changements
De ce voyage, Stéphanie Poirier a rapporté « 25 pages de rétroaction ». Danièle Sauvageau en a fait un plan d’action qui a été soumis à la fédération.
L’un des constats : il fallait du renfort. On a donc fait appel à Alexandre Tremblay, entraîneur spécialisé en habiletés qui travaille aujourd’hui avec la Victoire de Montréal, et à Karel St-Laurent, entraîneur de gardiens de but. Au fil du temps, Maxim Noreau, ex-joueur professionnel devenu lui aussi un spécialiste des habiletés, s’est joint au groupe.
« J’ai demandé à Stéphanie de me donner 24 heures pour y penser, pour voir avec mon horaire. Mais une fois que j’ai raccroché, je lui ai écrit tout de suite. C’était trop une belle occasion pour dire non ! », souligne St-Laurent, qui forme de jeunes gardiens et gardiennes dans le réseau de hockey scolaire québécois depuis plusieurs années.
Tremblay s’est lui aussi empressé d’accepter. Or, même s’il avait été averti, il a aussi constaté que le groupe partait de loin. « On devait changer des choses, mais on ne pouvait pas juste arriver et leur dire comment faire », dit-il.
Il a fallu qu’on se fasse adopter par le groupe. On a amené de la structure, on a fait de la vidéo…
Alexandre Tremblay
Karel St-Laurent a adopté la même approche avec les gardiennes, peu ou pas habituées à travailler à temps plein avec un entraîneur spécialisé.
« Un coach de gardiens ne doit pas dicter une façon de jouer, mais donner des outils à utiliser dans différentes situations, détaille-t-il. Puis, dans un match, tu utilises l’outil que tu veux, tu joues à ta façon. »
Très vite, le groupe d’entraîneurs a vu ses joueuses progresser. Un premier test est survenu le printemps dernier au Championnat mondial 1B, mettant aux prises les clubs de la troisième division de la fédération internationale.
Le tournoi a mal commencé alors que l’Italie, affaiblie par des blessures, a perdu deux matchs contre des équipes moins bien classées. Deux victoires, dont l’une contre la Slovaquie, mieux positionnée à l’échelle mondiale, ont toutefois permis de conclure l’évènement sur une bonne note.
Préparation
Forte de cette expérience, l’équipe poursuit sa préparation. Le groupe de Québécois s’est déjà rendu à sept reprises en Italie. Le travail se poursuit, petit à petit.
Il fallait toutefois renforcer l’effectif d’une autre manière : en y ajoutant des joueuses étrangères admissibles à rejoindre la sélection. Le temps, cependant, pressait, vu les critères complexes à remplir pour les intéressées.
Cinq ans après avoir pris sa retraite comme joueuse, Kayla Tutino a ainsi repris du service comme attaquante (voir autre texte). On a frappé un coup de circuit en recrutant la défenseuse Laura Fortino, vétérane de l’équipe canadienne et double médaillée olympique. On a aussi fait appel à l’attaquante Kristin Della Rovere, qui a joué pour la Charge d’Ottawa la saison dernière. On s’est aussi renforci devant le filet.
Cela étant, aucune de ces joueuses de l’extérieur – sauf Fortino, disons – ne se fera donner un poste en cadeau, nuance Stéphanie Poirier. « Le processus de sélection selon la performance ne sera pas différent », assure-t-elle.
Le prochain grand rendez-vous de l’équipe italienne sera le Championnat mondial 1B. On vise cette fois à remporter le tournoi afin d’accéder à la division supérieure. Cet accomplissement constituerait « la meilleure préparation » possible, selon l’entraîneuse-cheffe.
L’ultime défi, évidemment, se présentera aux Jeux de 2026. Mais il est encore trop tôt pour se projeter, insiste-t-on.
À court terme, toute l’équipe débarquera à Montréal ce lundi en vue d’une semaine de camp d’entraînement qui se conclura par des matchs hors concours contre les Carabins de l’Université de Montréal et les Stingers de l’Université Concordia. Les joueuses pourront aussi échanger avec celles de la Victoire, qui sera en congé en raison de la pause internationale observée par la ligue.
Les prochains jours revêtent une « grande importance » aux yeux de Karel St-Laurent, qui sera ironiquement en Italie pour travailler avec l’équipe féminine U18.
« Elles ont fait beaucoup de progrès, note-t-il, mais je pense qu’elles vont réaliser qu’elles ont encore beaucoup de travail à accomplir avant de se donner une chance de compétitionner aux Jeux. »
Interrogés sur leur appréciation de leur aventure italienne jusqu’ici, nos interlocuteurs répondent d’une seule voix. « C’est vraiment cool », a dit Alexandre Tremblay. « C’est tripant », a suggéré Karel St-Laurent. « C’est un trip incroyable », a conclu Stéphanie Poirier.
Des résultats sur la glace rendraient évidemment l’expérience encore plus exaltante. Mais ce bout-là de l’histoire reste encore à écrire sur une page qui, un an et demi plus tard, n’est plus complètement blanche.