Actuellement présent au Kenya pour diriger la sélection locale, qui débutera le Championnat d’Afrique des Nations 2025 (CHAN) dimanche par un match face au Maroc, Pedro Gonçalves a accordé un entretien exclusif à Afrik-Foot. Le sélectionneur des Palancas Negras s’est exprimé sur le parcours historique à la dernière CAN, son ambition pour la prochaine et le parcours plus compliqué dans les éliminatoires du Mondial 2026. Le technicien portugais de 49 ans a surtout raconté le lien très particulier qui l’unit désormais à l’Angola et son projet pour le football angolais, tout en évoquant son avenir.
Entretien réalisé par A.P.
Vous êtes à la tête de l’Angola depuis plus de 7 ans. Quel bilan faites-vous de cette expérience tant au niveau sportif qu’au niveau humain ?
Je suis ici depuis 10 ans. Je travaille depuis 2018 avec la fédération mais je suis arrivé en 2015. Après mon passage à l’académie du Sporting CP, qui m’a forgé en tant qu’homme et que professionnel pendant 16 ans, j’ai été sollicité par le Primeiro de Agosto, un grand club omnisport en Angola, pour mettre sur pied une académie de football, qui deviendrait référence en Afrique. C’était le bon moment pour moi de relever un nouveau défi dans ma carrière et c’est comme ça que je suis venu en Angola.
D’abord, dans ce club, où je suis resté 3 ans. On a monté ce centre de formation avec mes collègues, on a posé les fondations, on a recruté un groupe de jeunes talents à potentialiser, on a formé des cadres. Et au bout de ces 3 ans, je souhaitais partir parce que le projet était sur cette durée. C’est alors que la fédération m’a proposé de prendre en main la sélection U17. En avril 2018, je fais donc mon arrivée à la fédération angolaise.
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Ma vie restera à jamais liée à l’Angola, ces 10 ans représentent un peu plus d’un cinquième de mon existence. J’ai une relation très forte avec le pays, j’ai le privilège d’être le sélectionneur national de ce pays. Cela va bientôt faire 100 matchs que je dirige avec les différentes sélections, 70 desquels avec les A. J’ai un lien très fort avec les gens, la culture.
Quand je suis parti pour l’Angola, je suis parti complètement à l’aventure, je n’avais aucun lien familial avec l’Afrique comme cela peut arriver dans certaines familles portugaises. C’était un nouvel espace pour moi. Aujourd’hui, je peux dire que je me sens angolais. Je me suis fait énormément d’amis et j’ai créé un rapport à vie avec ce pays.
“Nous sommes la sélection africaine qui a glané le plus grand nombre de victoires officielles en 2024”
Les Palancas Negras sont clairement en progrès ces dernières années. Expliquez-nous tout cela.
J’arrive en avril 2018 pour prendre les U17. Nous avons remporté les deux compétitions dans lesquelles nous étions engagés, à savoir la Coupe COSAFA de la catégorie et les Jeux de la Lusophonie. La Fédération m’a donc proposé au sortir de ces deux succès d’être le coordinateur de toutes les sélections de jeunes. J’ai alors pris en mains les U17, les U20 et les U23. J’ai pu mesurer l’étendue et tout le panorama des footballeurs en Angola. Je me sentais très bien dans mes fonctions.
Comme nous avons enchaîné des bons résultats (3e place à la CAN U17 et qualification pour le Mondial U17 au Brésil en 2019), la fédération m’a proposé de remplacer le sélectionneur sortant chez les A après la CAN 2019 en Égypte. Et je suis donc en place depuis septembre 2019. Nous tentons de promouvoir les jeunes talents angolais, qui, à travers la sélection, ont trouvé de la visibilité, ce qui les a propulsés dans les meilleurs championnats d’Europe. Nous avons également essayé d’ajouter des joueurs de valeur en convaincant les binationaux européens de s’engager avec la sélection d’Angola. Aujourd’hui, ces joueurs veulent défendre les couleurs de la sélection.
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C’est ce que nous avons essayé de faire depuis notre prise de fonctions, qui a quasiment coïncidé avec le début de la pandémie de Covid-19. Nous essayons de faire de notre mieux, avec des moyens restreints, encore plus à cette époque-là. Nous avons disputé nos premières compétitions en fonction de ces moyens très limités. Mais nous avons semé les bases d’une sélection aujourd’hui respectée en Afrique, qui est en progression, qui a terminé l’année 2024 en étant la sélection qui a le plus progressé au classement FIFA, qui a glané le plus grand nombre de victoires officielles en 2024. Nous avons disputé deux CAN et deux CHAN de suite, nous avons gagné notre deuxième Coupe COSAFA, nous sommes devenus encore plus consistants et nous souhaitons continuer à gravir les échelons en restant réalistes par rapport aux investissements. Notre envie de travailler et de trouver des solutions pour y parvenir est toujours intacte.
Lors de la dernière CAN en 2023, vous avez atteint les quarts de finale, la meilleure performance de l’histoire du football angolais. Quelles sont vos ambitions pour la prochaine CAN en fin d’année au Maroc ?
La dernière CAN a été historique à tous les niveaux. Nous avons obtenu le meilleur résultat de l’histoire. Même si l’Angola s’était déjà qualifié pour un quart de finale, la sélection ne s’était jamais qualifiée en marquant 7 points en poule, elle n’avait jamais remporté un match à élimination directe dans le tableau final. Nous avons été l’une des meilleures sélections, l’une des meilleures attaques, nous avons eu le deuxième meilleur buteur de la compétition (Gelson Dala, ndlr).
Cette CAN a marqué une génération et a surtout emmené la population angolaise derrière son équipe. Jusqu’ici, le public était un peu distant de sa sélection et nos performances ont permis de renouer ce lien. Depuis, le soutien que nous recevons de leur part est à chaque fois fantastique et cela nous donne envie de faire encore mieux pour les échéances à venir. Les attentes sont élevées et exigent que l’on donne notre meilleur. Pour la CAN 2025, nous voulons sortir de notre poule, c’est notre premier objectif. Le second objectif sera de faire aussi bien que lors de la CAN précédente en 2023. Et, évidemment, ensuite, on essaiera de faire encore mieux.
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Quelle est votre analyse de votre groupe, avec l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Zimbabwe ?
Nous sommes tombés sur deux colosses africains. L’Égypte est la sélection la plus titrée, constituée de nombreux joueurs de talent, avec l’un des meilleurs joueurs du monde en tête de gondole à savoir Mohamed Salah. Mais il n’y a pas que lui, l’Égypte possède une sélection de joueurs de grandes valeurs. C’est une place forte du football en Afrique, le peuple égyptien est passionné de football.
L’Afrique du Sud est l’une des sélections les plus organisées, qui a déjà gagné cette compétition. Ils ont fait une superbe prestation lors de la dernière CAN avec une 3e place. Ils montrent beaucoup de consistance et cela se reflète avec les récentes performances des Mamelodi Sundowns lors de la Coupe du Monde des Clubs. Ses deux sélections sont très fortes et nous devrons être au niveau pour les défier.
Puis le Zimbabwe est selon moi dans la même catégorie que nous. Cette sélection possède des joueurs jeunes de qualité. Nous voulons terminer dans le top 10 du football africain. Nous devons montrer de la consistance à ce niveau de performances. Nous voulons rivaliser avec ces grandes équipes et montrer que nous avons les qualités pour les battre.
“Nous avons été obligés de parcourir près d’un tiers du globe terrestre en une seule date FIFA”
Vous avez obtenu votre qualification pour cette CAN de manière confortable. Paradoxalement, vos éliminatoires pour le Mondial 2026 sont plus compliquées. Comment l’expliquez-vous ?
La qualification pour le Mondial est beaucoup plus longue. Pour la CAN, les éliminatoires n’ont duré que trois mois. Cela nous a permis de maintenir une cohésion de groupe, de bien gérer les différentes échéances et les différentes dates FIFA. Nous avons battu le record de points marqués sur cette phase de qualification, nous avons terminé invaincus dans notre poule. Nous étions déjà qualifiés avant les deux derniers matches, nous avons pu faire tourner et ouvrir le groupe.
Pour ce qui est du Mondial, il y a davantage de temps entre les dates. Nous avons eu du mal à démarrer et j’avais d’ailleurs alerté la CAF à ce sujet. Nous avons joué les deux premières journées à l’extérieur : la première journée au Cap-Vert, le pays le plus à Ouest de l’Afrique, puis la deuxième journée aux Îles Maurice, le pays le plus à l’Est. Cela nous a obligé à parcourir près d’un tiers du globe terrestre en une seule date FIFA et avec nos moyens, ça a été terrible et nous a coûté des points, notamment avec ce nul aux Îles Maurice. Ces points perdus nous ont obligés à interpréter notre match à domicile contre le Cap-Vert dans une autre position, plus offensive.
Ranking – World Cup Qualification CAF Grp. D – 2023/2025 | |||||||||
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# | Team | Pts | P | W | D | L | Diff | GF | GA |
Ajoutons que nous avons connu beaucoup de forfaits lors de ce rassemblement de mars, avec des blessures de cadres comme Bastos de Botafogo, Show de Dallas, Zito Luvombo de Cagliari, Randy Nteka du Rayo Vallecano, M’Bala Nzola de Lens… D’autres n’étaient pas dans leur meilleure forme, comme Gelson Dala, qui était en fin de contrat avec son club, ou Kilonda Gaspar, qui revenait juste de blessure. Il y avait plusieurs joueurs qui n’étaient pas à 100%.
Nous n’avons pas été si mauvais que cela, mais sur des situations de transition, nous avons parfois manqué d’expérience. La qualification est plus difficile, c’est sûr, mais il reste douze points à prendre et nous sommes convaincus que nous allons réussir à les prendre. Et si nous terminons ce mini-championnat avec 19 points au compteur, nous aurons nos chances de nous qualifier. C’est notre objectif principal maintenant, prendre ces 12 points.
“Je veux fermer ce chapitre avec l’Angola de la meilleure des manières”
Il a été dit que la Tunisie avait tenté de vous recruter début 2025, tout comme l’Iran et la Libye entre autres. Y a-t-il réellement eu des approches ?
Les gens observent mon travail et mon parcours avec l’Angola et reconnaissent cette capacité à développer les qualités sportives d’un groupe. Il y a eu un moment important, la CAN 2023. Je n’avais pas la même visibilité avant cela. L’année 2024 a ensuite été fantastique et il sera difficile de faire mieux. Tout cela a attiré des clubs, des sélections. Il y a eu des approches, des sollicitations.
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Je suis pleinement concentré sur l’Angola, j’ai encore un an de contrat. Ce que je veux, c’est terminer ma mission et fermer ce chapitre avec l’Angola de la meilleure des manières. Le décalage entre les moyens et les attentes est difficile. Nous avons beaucoup gagné, peu perdu. Cela suscite beaucoup d’expectatives au pays et donc cela nous demande un engagement total, pas seulement de mon staff et moi ou des joueurs, mais de tout l’entourage de la sélection et de toutes les forces de l’Angola pour que toutes les synergies nécessaires se créent pour exprimer au maximum le potentiel de cette équipe. C’est notre défi aujourd’hui. Je suis sincèrement concentré sur cette mission avec l’Angola. Je veux pouvoir terminer ce cycle et clairement affirmer que j’ai contribué à la progression sur la durée du football et de la sélection angolaise.
Un mot sur votre passage au Sporting CP. Vous y avez d’abord travaillé comme scout puis vous êtes devenu entraîneur à la formation, c’est bien ça ?
J’ai intégré le Sporting CP en 1999, comme scout pour les jeunes, pendant deux ans. Puis j’ai passé 14 ans comme entraîneur dans les équipes de jeunes. J’ai travaillé dans toutes les catégories de la formation à l’exception des U19. J’ai eu la chance de travailler avec certains grands talents qui évoluent aujourd’hui au plus haut niveau mondial comme Rafael Leão et Eric Dier. Cela a été un privilège et une expérience formidable de pouvoir côtoyer ces joueurs-là et contribuer à leur progression et leur carrière.
Dans l’effectif actuel du Sporting, j’ai travaillé avec Daniel Bragança, Ricardo Esgaio, un garçon fantastique qui représente bien l’esprit des joueurs made in Sporting, et bien d’autres, qui sont un peu partout en Europe. Je suis très satisfait de ce parcours au Sporting.
Entretien réalisé par A.P.